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mercredi 29 février 2012

Nettoyage

Je rentre chez moi. Je vais voir mon fils qui dort. Je le regarde. Je reconnais son visage, sa présence. Encore un peu de temps, et je commence à voir son visage. Il est détendu comme le sont tous les visages pendant le sommeil. Un peu de couleur sur les joues, livrés au monde dans une respiration lente et régulière. Il y a en lui la même force que celle qu'il aura à l'âge adulte. Et en le regardant à l'instant je me souviens de ceux que j'ai vu ainsi, hommes et femmes confondus.
Cet instant du sommeil est touchant parce qu'on observe sur le corps les impressions du monde extérieur. Le corps est à la fois tendu vers cette existence, à la fois retiré en lui-même comme pour y puiser les ressources nécessaires à la vie.
Aujourd'hui, pensant à voix haute je disais : « Si chacun de nous a plaisir à la moindre marque de tendresse, c'est bien qu'il y a dans le fait de vivre une souffrance ». Je continuais en moi-même : « Ainsi en est-il pour toutes choses présentes, et ceci est la marque de notre pouvoir sur elles». Et moi que vais-je laisser ce jour encore comme empreinte  et comme souvenir sur le monde ?
Au travail, je nettoie la cave, ordonne les affaires et les agence. J'ai un espace à ma disposition que je dois structurer en vue du meilleur usage. Je lie l'histoire des objets à mon expérience. D'un corps étranger, j'ai lentement appris à en faire le tour pour le considérer comme mien. Et maintenant je vais commencer à déplacer le tout, à partir de la clarté que j'aurais su faire en moi-même.
Pour toutes circonstances de ma vie je procède de la sorte, tant dans les blessures que dans les réussites. Les marques s'impriment. Voici ma culture. Voici comment j'observe les lieux de vie et leur usage.
Ce qu'il m'est donné de faire est de traverser l'existence en tenant avec attention et constance le regard sur la zone ténue dans laquelle je m'avance. Qu'elle soie grave, ou légère, rien n'entame ce qu'elle m'invite à accomplir. "Amour, puissance, clarté", dit-elle.

vendredi 10 février 2012

La relation élémentaire

Nous portons en chacun de nous un état à partir duquel il nous est possible de faire la lumière sur les énigmes du monde extérieur.
Pour autant cette lumière n'est rien si elle n'est concentrée qu'en elle-même car ce qui touche au domaine de la connaissance n'a pas valeur pour soi.
De cette contradiction nous sommes amenés à entrer dans un développement toujours plus subtile et précautionneux relativement à notre expérience de vie.
Puisqu'à la fois nous devons sans discussion donner autant qu'il se peut la mesure des intuitions qui jalonnent notre expérience quotidienne, tout en emménageant dans un même temps des zones intermédiaires rendant praticables à chacun l'ensemble des intelligences qui ont vu le jour.
Car si chacun apporte sa part singulière, à la façon dont il tient l'objet de sa connaissance, la prise qu'il offre en conséquence n'est jamais celle de l'autre.
A contrario nous avons en nous cet instinct de l'espèce qui nous retient de nous fondre en l'autre parce que chaque expérience de connaissance doit pouvoir être vécue en elle-même et non par diffraction. Cela fait partie de la grande loi morale de laquelle provient notre humanité, une morale par hérédité en quelque sorte.

Il est possible de rompre cette alternative infernale en affirmant ceci:
La connaissance ne nous appartient pas, elle est l'accompagnement légitime de toute vie.
Et puisque chacun est investi de ce pouvoir du fait même de son existence, il est criminel de ne pas lui donner le jour.
Ici prend corps la deuxième clause morale engageant chacun avec lui-même:
Il n'y a de connaissance en exercice qu'à l'instant de la relation.
Chacun est responsable devant l'autre de l'aménagement d'un espace commun dans lequel les connaissances mises en oeuvre pourront composer enfin le coeur d'une humanité parvenue à maturité.

Ainsi, si l'être humain a été confronté à l'anéantissement de sa propre puissance dans le processus qu'on a appelé la "fin de l'histoire", cette conception symbolique et homogène d'une humanité en marche, nous pouvons dorénavant nous redresser en disant que notre puissance est reliée à la vie. C'est pourquoi, forts en nous-mêmes, nous pouvons nous lever et chercher, et si une seule intelligence humaine nous fait écho cela suffit.

Le temps a passé comme le train quotidien à côté de nos vies, le grondement des objets nous l'avons lentement assimilé à la consistance des choses. Aujourd'hui il n'y a pas eu de tremblement, quelqu'un se tient derrière notre porte. Notre recours: faire loi de la possibilité du monde.


dimanche 5 février 2012

Lire lentement le monde autour


Ce soir j'ai lu avec application le livre que mon fils a choisi. Je fais sonner distinctement le nom des personnages en marquant le rythme de la ponctuation et en laissant de la respiration entre les groupes de mots. Je prends le temps de regarder les dessins pendant les moments de silence. Je reprends la lecture avant que l'attention ne soit perdue, mais avec suffisamment de temps pour que l'image et la voix puissent résonner.

Un jour, par jeu, j'ai découvert que je disposais d'une faculté, celle d'expérimenter le monde au ralenti. Au cours du temps de mon expérience chacun de mes gestes quotidiens devenaient sujets d'observation à égalité avec ma perception du monde autour. Le temps m'était offert, je m'accordais le temps.

Quelques années après, je me suis proposé pour la présentation des "Théories esthétiques" de Théodore Adorno. Confronté à une lecture particulièrement complexe pour quelqu'un qui comme moi n'avait pas suffisamment d'outils philosophiques pour appréhender cette oeuvre, j'ai appris à lire avec lenteur, afin que chaque mot me parvienne, et que la phrase s'éclaire. J'en ai gardé une impression déconcertante, celle de ne plus savoir distinguer qui de moi ou du texte avait produit de la pensée. Mon compte rendu avait été un désastre, ne sachant plus si je devais parler de moi-même ou des idées défendues par l'auteur.

J'ai dit à deux de mes amis que quand je lisais, j'essayais de lire vraiment. Ils m'ont répondu que c'était impossible, et aussi que j'épuisais le texte. Pour moi lire c'est donner droit à l'auteur de faire état de ce qui est.

Une autre fois alors que j'évoquais l'existence d'une expérience plus intense que la poésie, on m'a dit en souriant que ça n'existait pas.

La poésie n'a jamais été qu'un mode relationnel à l'égard des objets, des éléments, ou de l'existence.

Aujourd'hui, je laisse les mots s'éteindre pour que puisse naître un corps avec des bras, des jambes, et une tête. Cet homme devenu moi vibre avec gravité. De lui s'élève la teneur qui le porte aux étoiles comme le ballon d'hydrogène, poche isolée de sa matière, semble irréconciliablement tourné à son destin.

mercredi 1 février 2012

Nous, vivants

Alors que la nuit n'a pas encore fini de voir le jour, je cherche à éprouver le temps continu. 


J'entends le souffle incessant comme lorsque je pose une oreille dans le creux d'un coquillage.
Pas besoin de me tourner vers elle pour voir ses teintes. Un violet sombre passe sur un timbre orangé à la note bleu clair du jour qui vient. 
Je suis dans la ville. 
Une masse noire, celle où se rassemblent les corps endormis, déteint sur moi. 
La puissance nous vient de l'attraction terrestre. Avec elle, entre le jour et la nuit, le coeur bat. 
Souffle, battement. Présent éternel. 


J'ai envie de vous éveiller amis humains. La joie est là, maintenant.

Mon sang. 
Sur le coin de l'oeil, un cheveu flotte dans l'air 
avec la nuit il dessine la présence d'une femme comme une ombre pleine
en face de moi j'ai la lumière brillante de l'écran.
De l'air à peine,
mais ce n'est pas un ange, 
ni un fantôme, 


l'amour pose sa main sur mon épaule.



Dehors, quelques sons, la ville commence sa longue traversée du jour.

Comme je souhaite que vous puissiez avoir cela pour vous.


L'amour est le commencement de tout.