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dimanche 5 février 2012

Lire lentement le monde autour


Ce soir j'ai lu avec application le livre que mon fils a choisi. Je fais sonner distinctement le nom des personnages en marquant le rythme de la ponctuation et en laissant de la respiration entre les groupes de mots. Je prends le temps de regarder les dessins pendant les moments de silence. Je reprends la lecture avant que l'attention ne soit perdue, mais avec suffisamment de temps pour que l'image et la voix puissent résonner.

Un jour, par jeu, j'ai découvert que je disposais d'une faculté, celle d'expérimenter le monde au ralenti. Au cours du temps de mon expérience chacun de mes gestes quotidiens devenaient sujets d'observation à égalité avec ma perception du monde autour. Le temps m'était offert, je m'accordais le temps.

Quelques années après, je me suis proposé pour la présentation des "Théories esthétiques" de Théodore Adorno. Confronté à une lecture particulièrement complexe pour quelqu'un qui comme moi n'avait pas suffisamment d'outils philosophiques pour appréhender cette oeuvre, j'ai appris à lire avec lenteur, afin que chaque mot me parvienne, et que la phrase s'éclaire. J'en ai gardé une impression déconcertante, celle de ne plus savoir distinguer qui de moi ou du texte avait produit de la pensée. Mon compte rendu avait été un désastre, ne sachant plus si je devais parler de moi-même ou des idées défendues par l'auteur.

J'ai dit à deux de mes amis que quand je lisais, j'essayais de lire vraiment. Ils m'ont répondu que c'était impossible, et aussi que j'épuisais le texte. Pour moi lire c'est donner droit à l'auteur de faire état de ce qui est.

Une autre fois alors que j'évoquais l'existence d'une expérience plus intense que la poésie, on m'a dit en souriant que ça n'existait pas.

La poésie n'a jamais été qu'un mode relationnel à l'égard des objets, des éléments, ou de l'existence.

Aujourd'hui, je laisse les mots s'éteindre pour que puisse naître un corps avec des bras, des jambes, et une tête. Cet homme devenu moi vibre avec gravité. De lui s'élève la teneur qui le porte aux étoiles comme le ballon d'hydrogène, poche isolée de sa matière, semble irréconciliablement tourné à son destin.

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