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mercredi 13 décembre 2023

Poème sabre

 A toi, qui maintenant a disparu et dont notre dernier échange se résume à mes sanglots irrépressibles pendant que tu essayais de faire ce que tu pouvais pour me parler. 

Pardon de n’avoir pu te laisser savourer la qualité de ta propre mort. 

 

Nous n’avons fait que nous côtoyer du temps des vivants. 

Tu as chanté avec moi et parlais avec passion de mes dernières réflexions en cours. 

Avant ton départ tu m’as dit que tu n’avais rien à me dire. Implicitement ça voulait dire que je savais ce qu’il en était de nos existences respectives et du chemin qu’elles avaient à parcourir entre ma vie et ta mort. C’était là notre complicité, faîte d’une supposée sagesse que nous aurions, toi et moi, sur certains secrets de l’existence.

Tu nous as laissé un dernier mot que nous avons retranscrit à trois comme pour savoir ce que tu nous laissais. Nous n’y avons appris seulement que tu quittais ostensiblement ce monde. Et, tous les trois, nous avons délaissé cette lettre n’y trouvant pas ce que nous pensions y voir, peut-être l’attente intime des lumières que, malgré tout, toujours enfants, nous recevions de toi. 

J’ai revu dernièrement cette photo, que j’avais prise, où vous étiez, ton amour et toi, tous deux l’un dans l’autre dans une étreinte infinie. Elle se fondait en toi et tu semblais l’accueillir absolument. Elle est restée sans toi, maintenant et jusqu’à la fin de ses jours. 

Je n’ai pas su partager sa douleur car je ne connaissais pas la mienne. Je pense à elle et vis avec elle cette amertume de ne pas te retrouver dans les échos de ses murs tout comme dans la respiration de ses promenades.

Je pense à toi sur nos départs répétés, quand nous descendions te voir, et que chaque fois c’était une séparation que nous vivions. Comme si le temps devait être rattrapé de tout ce que nous n’avions pas vécu ensemble, de tout ce que nous nous manquions.

Un jour, tu me serrais fort dans tes bras, je t’ai dit que cette distance était incompressible. Je le pensais. Et si tu as été surpris par ma remarque, je ne sais à quel point elle a pu te toucher profondément. C’est possible que je t’aie blessé. Rien ne semblait t’atteindre. 

C’est possible que tu en aies fait ta fierté. 

Cette fierté était telle qu’elle pouvait assumer, un soir où nous mangions ensemble avec un ami, d’être humilié par cet ami même au point que c’est ta fille qui en est venu à te défendre. J’assistais, amusé, à la scène considérant que tu pouvais certainement passer au-dessus de tout ça. Tu en avais traversé des épreuves. Je les ai vues, enfant, ces disqualifications. Elles ont forgé en moi la voie de se déprendre.

Nous n’avons pas su nous aimer avec les mots de l’amour, mais nous avons partagé ce que demande journalièrement un père à un fils. 

J’ai porté ton cri dans l’écho de l’église. Le prêtre, à sa manière, à chercher à éteindre ce feu. Mais j’espère l’avoir planté dans le cœur de mes fils. 

On ne sait jamais vraiment ce qu’on fait pousser d’un fils à un père.

Pour remonter le fil, je m’adresse à toi, aussi bien le dieu, le père ou l’absent, pour te dire que je t’aime, et que vous, tout en un, avez su me trouver, avez su me connaître.

Je jette ici les échos prolongés de mon enfance pour dire que je suis là, et que peut-être cette nuit-là, c’était ça que tu voulais me dire, tout en un. 


Qu’il n’y a pas de fin à l’existence, que nous en sommes les usagers de passage et que nous gardons en nous, tout entière à la vie, l’histoire du présent du monde.

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